Nous sommes fin juillet, à l'heure où la chaleur du soleil a laissé place à la fraîcheur de la nuit et à l'humidité en provenance de l'océan.
Je me suis réveillé en sursaut. Le cauchemar qui me hantait s'est terminé par un hurlement strident dont l'écho résonne encore à mes oreilles. Ce cri que j'espère imaginaire semblait provenir des dunes. Je me sens attiré vers la plage comme si l'appel m'était destiné.
Je gravis la première dune, puis la suivante. La lune blafarde crée de longues ombres sur la moindre plante, transformant la maigre végétation en autant de griffes tordues et menaçantes.
Plus je progresse, plus le sol prend un aspect inhabituel. Le sable est maculé de boue et quelques objets indéfinissables apparaîssent. Ils sont corrodés, méconnaissables, mais semblent tous être extrêmement anciens.


J'émerge au sommet de la dune dont les rides ont été profondément modifiées après la tempête de la nuit précédente. L'affrontement entre l'océan et le dieu des vents a bouleversé le paysage qui m'était familier. L'étendue de sable que je connaissais est maintenant lacérée de failles et laisse apparaître des reliefs inconnus ainsi qu'une masse obscure estompée par la distance.
Les nuages s'écartent et la lune me dévoile alors la nature de ce qui m'apparaissait jusqu'alors être un relief naturel.

Je tremble à la vue du sombre édifice qui vient de sortir de l'océan, arraché aux abysses par la colère des éléments. Ces constructions tirées du néant n'ont rien d'humain et seul un esprit malsain a pu les concevoir. Je suis probablement le premier depuis des millénaires à contempler ces remparts colossaux et ces tours maléfiques.
Malgré mon effroi, une attirance étrange me pousse vers ces hautes murailles. Après une heure de marche, je suis au pied des immenses tours qui m'enveloppent de leur ombre froide.


Je me trouve devant de ce qui semble être une fantastique citadelle. Des murs d'une hauteur prodigieuse sont percés de portes démesurées. Quelles armées titanesques ont pu jadis fouler ces rues ?
Des escaliers, qu'aucune race humaine ne pourrait gravir, relient des donjons et des couloirs dont les angles improbables accroissent le malaise qui grandit en moi. Une puanteur indéfinissable imprègne les lieux.


Le sol, mélange de sable et de vase, déforme mes traces de pas. Elles semblent parfois se mêler à d'horribles empreintes qui ne peuvent avoir été créées que par le vent. Aucune créature ne pourrait à la fois être ainsi dotée de palmes et de griffes.
Je ne me sens pas seul au milieu de ce labyrinthe. J'en suis certain, une entité malfaisante est avertie de mon intrusion en ces lieux interdits.
A la limite du seuil de l'audition, j'entends des chuintements et des glissements provenant des sombres cavités qui percent les constructions.


Il m'est impossible de revenir en arrière ni même de me retourner. Je sens que des présences se regroupent derrière moi et me suivent en rampant mollement dans le sable. Ma progression se transforme en une fuite éperdue vers un destin que je devine épouvantable.
J'ai perdu tout sens de l'orientation au milieu de cette architecture malsaine. Je longe des murs qui serpentent. J'évite des puits profonds et noirs. Des allées bordées de tours aveugles me conduisent toujours plus loin dans ce dédale terrifiant. Trébuchant, haletant, je parviens alors au pied d'un gigantesque cône de roche visqueuse qu'un escalier en spirale enlace, tel un reptile enserrant sa proie.


Les bruits de reptation qui me suivaient se sont éteints. Je me retourne. L'ombre projetée par les remparts n'arrive pas à cacher la horde de créatures de cauchemar qui m'a poursuivi. Je crois voir des excroissances ondulant frénétiquement dans l'ombre et le mouvement sinueux d'un tentacule luisant. J'aperçois ce qui semble être des visages horriblement déformés et des appendices palmés qui s'agitent convulsivement.
Mon sang se glace. Je prie pour que la folie s'empare de moi et annihile mon esprit qui contemple cette légion monstrueuse.


Un chuintement abject retentit dans mon dos. Le grouillement immonde s'arrête instantanément et je sens que les regards des créatures se braquent sur un point situé derrière moi.


Le Maître est là, tapi dans la cavité qui s'est ouverte au flanc du cône de roche. Une puanteur effroyable s'exhale de l'ouverture béante et je me retourne pour contempler ce qui s'extrait de l'ombre. Aucune description ne peut rendre compte de l'aspect de la créature. Le corps boursouflé et squameux est surmonté d'une tête rudimentaire d'où pendent des tentacules grisâtres et luisants. Les yeux, minces fentes verticales au milieu des replis de chairs écailleuses, me fixent et dévoilent l'effroyable folie du maître des lieux.
Les yeux m'appellent.
Je m'avance...

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